Origine du nom "REUX"

L'origine du mot "reux" fait l'objet d'un débat. Pour certains, il serait d'origine germanique et signifierait
défrichement ; pour d'autres, il est de source latine et désigne la "roue" au pluriel.
Le premier nom connu du village est Rotæ. Le mot est d'origine latine, sous la forme du pluriel de rota, la roue. Le nom du village et le mot roue ont été francisés à l'époque médiévale, avant de prendre la forme que nous leur connaissons. Ils ont connu les évolutions suivantes :
le latin rota a donné roe, puis roue,
le latin rotæ a donné roes, puis reux.
Le même mot médiéval roe a donc produit "roue" au singulier et "reux" au pluriel. L'altération est évidente. Rien ne justifie l'emploi de l'orthographe "reux", si ce n'est le souci d'écrire le nom du village, comme "roes" devait être prononcé à l'époque médiévale.
Le nom du village n'est pas toujours décliné au pluriel sans une bonne raison. Les habitants de Reux ont longtemps été experts en fabrication de roues de différents modèles. Les villages spécialisés étaient relativement fréquents, mais peu de leurs productions nous sont parvenues. Le souvenir des roues fabriquées à Reux a été épargné et leur renom n'y est pas étranger.
La Touques a longtemps livré passage à des navires venus de la mer. Le premier port construit à l'époque gallo-romaine, le plus loin possible à l'intérieur des terres, était à Lisieux. L'envasement continu du lit du fleuve a ramené l'activité portuaire à Pont-l'Evêque, puis à Roncheville, une commune rattachée à Saint-Martin-aux-Chartrains en 1828. Le port de Roncheville était en activité entre le XIe et le XVIIIe siècles.
Au XVIe siècle, des roues fabriquées à Reux transitaient par le port de Roncheville. Venues de Reux sur des barques à fond plat, transbordées sur des navires, elles gagnaient les magasins du port de Rouen, où des courtiers en prenaient livraison.
La réputation des roues fabriquées à reux débordait le cadre de sa seule zone de production, elles étaient "exportées" de l'autre côté de la Seine. A ce titre, elles figuraient sur le tarif du 1er décembre 1522, affiché dans le port de Roncheville (1). Le tarif, établi pour plusieurs années, dressait l'état des taxes exigibles sur les bateaux et les marchandises en transit. Seuls les produits d'un écoulement continu figurent sur ce que l'on appelait la "pancarte". Les roues fabriquées à Reux étaient du nombre, elles étaient l'objet d'une demande soutenue.
Ce seul commentaire rend insuffisamment compte de la notoriété des roues fabriquées à Reux. Elles étaient connues d'un si large public que les noms du village : roes, puis reux étaient parfois substitués au mot roues. Le tarif de 1522 fait état non de roues mais "d'une paire de reux à charue ou à charette" et "d'une paire de roes à charue"(2).
Les deux articles figurent à la rubrique ROUES, écrite en marge.
Le doute n'est pas permis. Si le nom du village n'avait pas été défiguré, il serait toujours dénommé "Roues" et son origine latine ne ferait pas l'objet d'un débat.
Le passage de l'appellation de Roes à Reux s'est produit à la fin du XIVe siècle. Nous le verrons plus loin. Avant cette période, la charrette n'existait pas ou le mauvais état des chemins interdisait son emploi. On lui préférait la "chyvière", le brancard porté à mains d'hommes ou à dos de chevaux. Le dernier modèle de roue, les reux du tarif, d'un diamètre supérieur, annonce des charrues plus performantes et l'usage des premières charrettes.
Au premier nom latin "rotæ", les partisans de l'origine germanique opposent l'anglo-saxon "rudae" ou "riuti", qui signifient défrichement. D'une provenance différente, les deux mots ont pris des formes proches à l'époque médiévale, "roes" pour le premier et "roeux" ou "roeulx" pour le second. D'une consonance semblable, les deux mots n'en avaient pas moins des signifiations opposées. L'un évoquait la roue, donc une production de bois, et l'autre indiquait un acte volontaire de déboisement. Les inventeurs de l'origine germanique du mot Reux avaient d'ailleurs conscience du caractère irrationnel de leur proposition. Leur conclusion est suivie de ce commentaire : "appliquée à une région boisée, cet appellatif (défrichement) fait difficulté"(3).
Il fait même grande difficulté. Le renom du village de Reux ne s'est pas établi sur des défrichements, mais sur une production de bois dont on faisait des roues.

† Jean PAUL